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Le Temps suspendu

 

 

 

Roman historique Chevaucheurs d'écume à lire en ligne

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Avant-propos

L’idée d’écrire un roman me taraudait depuis plusieurs années, mais la poursuite d’études universitaires en ethnologie, ainsi que la pratique du chant et de la danse ne permettaient pas de mener ce projet à bien. En 1998, une fois les études achevées, une longue marche vers le Finistère galicien, au nord-ouest de l’Espagne, allait me donner le temps d’y penser : trois mois pour rejoindre l’Océan Atlantique et entrer dans une autre dimension de la réalité, rythmée par le soleil et la marche.

Le dépouillement amené par la vie simple du marcheur dormant à la belle étoile ou dans des abris de fortune, la découverte de la solitude, accompagnée de son cortège de réflexions intérieures, permirent de mettre de l’ordre dans ma pensée. S’il était clair que je voulais écrire un roman, son sujet l’était beaucoup moins. Aux portes de la Galice, après avoir franchi le col d’O Cebreiro, le thème s’imposa de lui-même.

L’automne commençait ; la pluie et le froid qui avaient accompagné les pèlerins durant la majeure partie de la traversée de l’Espagne avaient fait apparaître un voyageur encombrant : la grippe. Mes compagnons de marche y succombaient les uns après les autres. Puis ce fut mon tour. Pour pouvoir continuer à marcher malgré les poussées de fièvre, je buvais des thés chauds, avec du miel, du citron et une forte dose d’un élixir local, l’orujo.

Pris entre les délires de la fièvre et de l’alcool, mon esprit vit apparaître des Hommes du Nord. Je regardais les maisons de pierre des villages et des images d’océan me traversaient. Chevauchant l’écume blanche des vagues, de longs serpents de bois les fendaient, leurs voiles carrées gonflées par le vent.

La grippe finit par disparaître, mais les Viking continuèrent à occuper ma pensée. Quelques visites de musées locaux, ainsi que des recherches en bibliothèques, confirmèrent rapidement cette intuition née de la fièvre : les Scandinaves étaient effectivement venus en Galice, et à de nombreuses reprises. Les textes en latin, en espagnol ou en galicien qui recensaient les écrits des évêques, particulièrement l’« Historia sagrada de España », permirent de définir précisément la période historique de ce récit : le IXe siècle.

Si les Scandinaves étaient présents dans les eaux galiciennes, ce n’était pas uniquement dans le but d’en piller les côtes. Ces habiles commerçants cherchaient à se tracer une voie commerciale maritime rejoignant la Méditerranée. N’ayant pas de bateau à disposition pour entamer le voyage vers le sud de la Péninsule et les sources historiques arabo-andalouses, j’achetais une ânesse, Kalima, pour entamer les 900 km de marche qui me séparaient de Cordoue, l’ancienne capitale des califes omeyades.

Les bibliothèques de la ville livrèrent nombre d’ouvrages intéressants, traduits de l’arabe au XIXe s. dans la grande vague orientaliste qui suivit la découverte des antiques cités sumériennes. Sources de seconde main, certes, traduites de l’arabe en espagnol, parfois en passant par le français, elles parlaient néanmoins – elles aussi – des expéditions dont j’avais déjà trouvé les traces en Galice, confirmant ainsi leurs réelles existences.

Le contexte du récit prenait forme, ainsi que sa structure. Mais de retour en Suisse, une question sans réponse me préoccupait : comment et pourquoi mes personnages scandinaves se retrouvaient-ils en Andalousie ? Pour y répondre, j’entrepris un autre voyage, en 2003, non plus à pied avec mon ânesse, mais à bord d’un « nordlandsbot ». Ce bateau de 6m50, non ponté, sans moteur et sans radio, nous emmena à deux du nord de la Norvège jusqu’en Irlande.

Ces mois de navigation me firent découvrir les côtes de l’Atlantique Nord, les joies de la rame sous la pluie, des heures durant, l’effort physique permettant à l’esprit de s’envoler librement. Par bon vent, la voile dressée propulsait le bateau et permettait de se consacrer à l’écriture. Par gros temps, nous restions prudemment à l’abri dans un port, parfois durant deux ou trois jours. Je prenais alors mes quartiers dans une taverne, noircissant les pages, alors que l’Océan se déchaînait au large, levant des vagues de plus de dix mètres.

Ce voyage en bateau me permit d’écrire les dix premiers chapitres. Pour rédiger les sept suivants, je retournais à plusieurs reprises en Espagne, puis poussai jusqu’en Afrique du Nord. Les bibliothèques de Grenade, de Tortose, de la Corogne, de Cordoue et de Saint-Jacques en Espagne, ainsi que celles de Lausanne, Fribourg et Neuchâtel en Suisse, permirent d’approfondir les thèmes centraux du roman, à savoir l’expansion scandinave vers la Méditerranée au IXe s., la réorganisation des réseaux commerciaux qui s’ensuivit, ainsi que la découverte de deux modes de pensée : celui, polythéiste et de tradition orale, des Scandinaves et celui, chrétien et lettré, d’un héritier de Priscillien qui postulait déjà la liberté de pensée au IVe s après J.-C.

Dans l’écriture de ce roman, je me suis attaché à comprendre les « périphéries », autant géographiques que spirituelles, plutôt qu’à suivre le « centre », le développement d’une pensée carolingienne en pleine renaissance à l’époque du récit. Les Francs étaient mal vus par les peuples qui les entouraient. Et pour cause ! Tous eurent à souffrir de l’alliance entre les Francs et Rome, terrible duo qui mettait une lourde cavalerie à disposition de la propagation d’une foi à vocation universaliste et, par définition, intolérante. Une fois encore, le prétexte religieux fut utilisé pour asservir des peuples entiers, par exemple la conversion rendue obligatoire sous peine de mort pour les Saxons de la fin du VIIIe s…

Ce livre cherche à redonner la parole à ceux qui en ont été privé par la force, à ceux qui ont été convertis à l’amour du Christ à grands coups d’épée, à ceux qui ont vu brûler leurs arbres sacrés, à ceux qui se sont fait décapiter par milliers parce qu’ils refusaient d’embrasser le culte du Crucifié, à ceux qui ont vu leurs livres partir en fumée, leurs héritiers spirituels dispersés par la centralisation romaine et sa pensée unique.

Que la lectrice ou le lecteur ne s’étonne pas de trouver des versions différentes de celles couramment acceptées, autant au niveau de l’histoire événementielle que dans la présentation de systèmes de croyances. De tous temps, l’histoire a souffert d’un grave problème : les pouvoirs en place ont besoin de justifier leur existence en s’ancrant dans le passé ; et les puissants n’hésitent pas à le modifier pour satisfaire leur besoin de légitimation. Gardons toujours en mémoire que le vainqueur qui a fait écrire l’histoire par le passé n’était pas plus honnête que nos dirigeants actuels quand ils parlent d’armes de destructions massives en Irak ou des justifications de la privatisation des biens publics.

L’écrit traverse le temps, et le mensonge avec lui. L’écrit n’est pas synonyme de vérité. Regardons le nombre de mensonges imprimés au XXIe s. dans les journaux, diffusés par les différents moyens de communication et posons-nous une simple question : les hommes de pouvoir étaient-ils plus honnêtes par le passé ?

La seule manière d’approcher une vérité historique est le croisement des sources écrites, basques, galiciennes, bretonnes, scandinaves, franques, lombardes, burgondes, arabo-andalouses, byzantines, romaines… et d’y adjoindre les résultats de l’archéologie. En combinant ces données, sachant que chaque peuple s’auto-glorifie et déforme les événements à son avantage, il est possible de tracer une fresque haute en couleur. Est-elle proche de la réalité du IXe s. ? Nous ne le saurons jamais vraiment.

Pour permettre au lecteur de démêler quelque peu l’écheveau de ce qui est pure invention de ma part de ce qui est directement inspiré de sources historiques et/ou archéologiques, un glossaire regroupe les noms des divinités et des personnage mythologique, les personnages historiques, donnant des repères chronologiques, indiquant les faits marquants auxquels ils ont effectivement pris part, ainsi que les libertés que j’ai prises avec eux. La première apparition d’un mot du glossaire dans le texte se marque par un italique.

Une bibliographie permet de chercher de plus amples informations, les cartes situent l’action et une liste des personnages permet de les situer les uns par rapport aux autres.

Bonne lecture.

 

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